Tribune de Loïk Le Floch-Prigent : Les éoliennes en mer rentables ? Pour qui ?
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Article N°25191

Tribune de Loïk Le Floch-Prigent : Les éoliennes en mer rentables ? Pour qui ?

Tribune en date du 12 novembre 2020, mais d'actualité avec le lancement des travaux en ce début mai 2021...

L’installation d’un parc d’éoliennes en mer dans la baie de Saint-Brieuc est l’un des sept projets offshore programmés au large des côtes françaises entre 2022 et 2027. Il suscite de nombreuses interrogations. A qui profite les éoliennes en mer ?

« Je soutiens la création d’éoliennes en mer car c’est un modèle économique rentable », nous dit dans un entretien au Télégramme, quotidien breton, Madame Annick Girardin, Ministre de la mer, le 4 Novembre 2020. Cette déclaration fait suite à une question sur le projet d’implantation de 62 éoliennes en face des caps Fréhel et d’Erquy en baie de Saint-Brieuc, projet contesté par la plupart des municipalités de la côte, des pêcheurs et aquaculteurs. Les études d’impact sont loin d’avoir convaincu les populations voisines et les professionnels s’inquiètent de leur avenir, et là la Ministre essaie de déminer le vent de contestation qui est en train de déferler sur les Côtes d’Armor « les débats ont déjà eu lieu » en s’attribuant en cas de besoin un rôle de « médiateur ».


Native de Saint-Malo, ancienne élue de Saint Pierre et Miquelon, ancienne Ministre de l’Outre-Mer et bien accueillie dans son nouveau poste de Ministre de la Mer, ces propos ont été une douche froide pour tous ceux qui dans cette période difficile de Covid, de Brexit et perspectives diverses de licenciements dans un grand nombre de secteurs essaient de trouver des raisons d’espérer à la fois dans le maintien d’activités et de nouvelles perspectives. Les « débats », justement, ont montré que les éoliennes des Caps n’entraient dans aucune de ces catégories, aucune sauvegarde de la pêche et de l’aquaculture, et peau de chagrin des retombées sur de nouveaux remplois régionaux. Les propos de la Ministre sont donc mal venus dans ce Département breton, et il serait bon qu’elle envisage plutôt un moratoire sur la baie de Saint-Brieuc comme le lui demandent une grande partie des élus et des professionnels et qu’elle s’interroge de nouveau dans une période délicate sur l’intérêt de poursuivre des décisions hasardeuses prises il y a des années dans un environnement économique très différent. Il y a donc beaucoup de choses à dire sur ce projet dénoncé par tous les amoureux de la mer et l’on peut espérer que dans un avenir proche, après une réflexion salutaire la Ministre s’aperçoive que les écrivains bretons, comme Yann Queffelec, n’ont pas tort d’écrire qu’il ne faut pas toucher au sacré, on ne touche pas au Mont Saint-Michel, à Cancale, à Saint-Malo, et aux Caps Fréhel et Erquy. Je rajoute, pour ma part que l’on ne fore pas impunément dans le granite.

Revenons quand même à la réaction obscurantiste et très bureaucratique de « rentabilité » des éoliennes en mer, et, en particulier de celles projetées à Saint-Brieuc. On a beaucoup écrit sur l’intérêt du vent « gratuit » pour produire l’électricité, qualifiant les installations de propres, écologiques, vertes et c’est à partir de ces vocables qu’une industrie du vent s’est construite, d’abord sur terre et ensuite sur mer. Les promoteurs de ces installations essaient de minimiser leur « empreinte carbone « globale et le monde des métropoles, soucieux des pollutions de l’air urbain, voit dans ces hélices champêtres ou marines des instruments qui protègent leur environnement. A cet égard les pollutions directes des éoliennes marines sur les Parisiens sont effectivement nulles. Depuis des années les techniciens et les scientifiques font des rapports pour expliquer que le « ressenti » des urbains ne correspond pas à la réalité, mais les discours ministériels n’évoluent pas, on sait que l’on a tort, cependant la population a l’air de plébisciter le vent, donc on continue. Mais personne jusqu’à présent n’a osé dire que les éoliennes étaient « rentables », c’est-à-dire que les revenus obtenus étaient supérieurs aux ressources employées pour les obtenir. S’il n’y a pas un surprix payé par le consommateur il n’y a pas de développement possible de l’utilisation du vent dans notre pays. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas en construire pour modifier le mix énergétique de notre pays, pour diminuer la part d’utilisation des énergies fossiles, pour restreindre l’utilisation des centrales nucléaires, mais les décisions prises ne se font pas au nom de la rentabilité mais à celui d’une politique énergétique. On décide de construire des éoliennes pour diminuer le recours aux autres sources mais on sait que cela a deux inconvénients, celui de renchérir le prix de l’électricité pour le consommateur et celui d’affecter les réseaux électriques à cause de l’intermittence structurelle de la production : pour produire il faut qu’il y ait du vent ! On remplace ainsi une part d’énergie abondante et bon marché par une énergie intermittente et chère, on a le droit de faire ce choix pour des raisons politiques, mais il faut le faire en toute lucidité.

Mais ce qu’il y a eu  de plus troublant dans cet entretien de Madame Annick Girardin c’est d’avoir utilisé cet argument à l’occasion d’une question sur les éoliennes de la baie de Saint-Brieuc !

On considère actuellement que les collectivités peuvent « encaisser » un prix de 40 à 45 euros le MWH dans les installation éoliennes, avec raccordement payé par la collectivité en l’occurrence RTE qui rajoute encore plus d’une dizaine d’euros à la note finale. Ceci permet aux entreprises qui veulent investir dans les éoliennes en mer de « rentabiliser » leurs installations en vingt ans, un revenu garanti dont beaucoup d’industriels souhaiteraient disposer lorsqu’ils prennent des décisions couteuses. Ainsi les financiers disposent d’une rente confortable qui attire vers ce secteur ce que l’on appelle un effet d’aubaine. Mais les éoliennes de la Baie de Saint Brieuc ont été obtenues dans un tout autre contexte, celui de la création d’une filière nationale industrielle autour d’Areva et d’Alstom, filière qui a depuis disparu des écrans ! Les prix envisagés couvraient des subventions et on comprend mieux ainsi les contrats à 200 euros le MWH ramenés à 155 euros (avec raccordement payé par RTE). On explique aujourd’hui ces couts insensés par les forages dans le granite, mais la réalité de l’époque était la création d’une filière industrielle nationale qui n’est même plus un souvenir. Le coût pour la collectivité sera de 4 à 5 milliards pour garantir une rentabilité très confortable pour l’investisseur espagnol et on comprend pourquoi il « s’accroche » à cette installation démente de 62 éoliennes en mer en vue des caps mais aussi de l’ile de Bréhat, susceptible de modifier gravement les possibilités de pêche côtière et toute l’aquaculture proche de Saint-Quay-Portrieux et Paimpol jusqu’à Cancale.

Il convient donc de modifier la formule de Madame la Ministre, le modèle économique utilisé par l’investisseur des éoliennes des Caps est très rentable pour lui, c’est une catastrophe pour le contribuable et pour les professionnels de la mer. Les débats n’ont pas eu lieu, les études d’impact n’ont aucune consistance, il est temps de revenir sur un projet injurieux pour les amoureux et les professionnels de la mer. Il faut prendre avec précaution toutes les initiatives qui veulent utiliser la mer à cause de sa « gratuité ». Dans des régions merveilleuses comme la Bretagne il faut sacraliser les premiers kilomètres le long de la côte, pas seulement les sentiers, l’horizon, la vue du large, la respiration… la vie. Il est encore temps d’arrêter une vieille initiative qui est aussi une erreur « non rentable ».


Loïk Le Floch-Prigent

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